6 avr. 2012

Où il est question de Confucius

« Le sage préfère braver la mort plutôt que de renier son idéal pour obtenir des honneurs et accepter des compromissions pour un poste à la Cour. »

La haute fustige continue à la cour de l'Empereur chinois, en 81 avant J.C. Les sages et les lettrés ne manquent pas d'arguments cinglants à l'égard des gouvernants. Pour étayer leurs arguments, ils se réfèrent souvent à l'histoire de Chine ; le chapitre 8 du Yantie Lun est dédié à leur référence la plus récurrente : Confucius.



OÙ IL EST QUESTION DE CONFUCIUS

Impuissance des confucéens.
L'ASSISTANT DU GRAND SECRÉTAIRE. - Vous vous prétendez les héritiers de Confucius ; vous vantez ses mérites et décrétez qu'il fut le plus grand sage que la terre ait jamais porté. Pourtant, bien que votre saint patron ait rayonné entre les principautés de Lou et de Wei, et diffusé sa doctrine sur les rives de la Tchou et de la Sseu, il n'a jamais été capable d'amender un seul de ses disciples ni de répandre la paix sur son époque. L'État de Lou fut démembré de son vivant. Le duc Huan de Ts'i appréciait les lettrés et leur enseignement. Mencius, Chouen Yukun et d'autres négligèrent les hautes fonctions qu'on leur avait attribuées, préférant pérorer sur les affaires de l'État. Il y avait plus de mille de ces docteurs qui disputaillaient à l'académie Kihsia de Ts'i. Pendant ce temps, le faible royaume de Yan attaqua le pays, et son armée arriva d'une traite aux portes de la capitale Linzi. Le roi Min dut s'enfuir et mourut à Gong sans que ces messieurs aient pu rien faire pour retourner la situation. Quand le roi Jian fut cap­turé par le pays de Ts'in avec toute sa cour, ils se montrèrent tout aussi impuissants à affronter le danger. Bref, l'Histoire a prouvé que les confu­céens ont toujours été incapables d'assurer la sécurité de leur pays et de faire respecter leur prince. Que ces attardés, obnubilés par la pratique de la vertu, et dont le seul plaisir est la dénonciation stérile des défauts contemporains, ont toujours été paralysés devant l'action. Plus de mille ans se sont écoulés depuis les Tcheou, et il faudrait encore prendre modèle sur eux et sur le roi Wen, sur le roi Wu, les souverains Tch'eng et K'ang, comme sur les seuls grands hommes d'État qui aient jamais existé ? En vantant des institutions impossibles à restaurer, vous nous faites penser à des unijam­bistes condamnés une fois pour toutes à radoter sur des contrées lointaines et, pour eux, à jamais inaccessibles. Les sages poursuivent des buts identiques par des voies différentes ; certains marchent d'un bon pas, d'autres avan­cent avec prudence, tous vont au même endroit. Le sage n'hésite pas à faire quelques entorses à la morale si beaucoup de bien doit en résulter. Car il n'est rien de plus néfaste que de s'accrocher obstinément à un seul principe.

Contre toute compromission.
LES LETTRÉS. - Privé de son fouet, même Tsaofu, le maître cocher, serait incapable de conduire un quadrige. Faute d'occuper une position assez élevée, même Chouen et Yu auraient été dans l'impossibilité de gou­verner. Confucius a dit lui-même : « Las, le phénix ne vient pas, et les insignes sacrés ne sont pas sortis du fleuve, c'est en fait de moi ! » Professer la morale et la vertu sans trouver l'occasion d'en répandre la pratique, c'est comme posséder un char léger et des chevaux rapides qui ne sortent jamais.

Confucius a bien souligné que « si les dénominations ne sont pas cor­rectes, les discours ne sont pas conformes à la réalité, et si ceux-ci ne sont pas conformes à la réalité, les actions entreprises n'atteignent pas leur but ». Mencius a dit : « Si l'on me demandait de résider à la Cour et d'en accepter les mœurs actuelles, je ne consentirais pas pour un empire d'y demeurer un seul jour : » Et il choisit de souffrir de la faim et de vivre dans une ruelle plu­tôt que de se faire violence en se pliant aux mœurs dépravées de l'époque. Le sage préfère braver la mort plutôt que de renier son idéal pour obtenir des honneurs et accepter des compromissions pour un poste à la Cour. Nous professons que l'homme intègre abandonne les affaires publiques quand le gouvernement ne pratique pas une politique conforme à ses principes, non qu'il fasse entorse à la vertu pour se faire accepter.

Confucius s'est compromis.
L'ASSISTANT DU GRAND SECRÉTAIRE. - Si Confucius a dit que « l'honnête homme refuse tout commerce avec ceux qui n'agissent pas conformément au Bien », il n'a pas mis sa maxime en pratique. Les Mémoires sur les bien­séances et les rites proscrivent tout contact entre un homme et une femme puisqu'ils ne peuvent se passer un objet de la main à la main ni échanger leur coupe. Mais lorsque Confucius, dans la principauté de Wei, obtint une audience auprès de la femme du comte de Wei par l'entremise de son favori Tseu-Hsia, s'attirant la mauvaise humeur de son disciple Tseu Lou, ne bafouait-il pas cette règle de la bienséance ? Tseu-Hsia était en effet un fort mauvais sujet ; que le maître se servît de lui n'était déjà pas très conforme à la morale, mais qu'il rendît visite à une dame, voilà qui était franchement choquant ! Les rites et la morale furent en grande partie l'œuvre des confucéens. Or leur saint patron lui-même les a foulés aux pieds pour mendier un poste. Comment avez-vous le front de dire qu'ils se sont désintéressés des affaires ?

Compassion de Confucius.
LES LETTRÉS. - Désordres et troubles dans l'Empire préoccupent le monarque éclairé ; le sage se tourmente en l'absence d'un souverain digne de ce nom. Confucius mena une vie errante par compassion aux douleurs des humbles et désir de mettre un terme à l'anarchie. Il faut courir pour rattraper un fuyard, il faut se mouiller pour sauver quelqu'un qui se noie. Le peuple en ce temps-là était au fond de l'abîme : comment aurait-il pu le secourir sans tremper ses vêtements ?

L'assistant du Grand Secrétaire reste sans réplique.

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