22 oct. 2012

Dispute sur le Sel et le Fer (26)



LA VERTU ENTRE L'ABONDANCE ET LA MISÈRE


Pas de compassion pour tous.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Si les hommes qui vivent maintenant sur notre territoire sont dans le besoin, bien que ne sévissent ni épidémies ni calamités naturelles, la faute en revient à leur prodigalité ou à leur paresse ; ceux qui jouissent d'une relative aisance le doivent à leur travail ou leur économie. Vous avez dit tout à l'heure : « Le prince se réjouit de prodiguer ses largesses et s'émeut d'avoir à punir. » N'est-ce pas là compatir sur le sort d'êtres nuisibles à la société et entretenir des fainéants ? Donner sans discrimination n'est pas répandre ses largesses, distribuer ses faveurs à ceux qui ne le méritent point n'est pas faire preuve de bienveillance.

Bienfaits de l'aisance.
LES SAGES. - Durant l'apogée des Trois Antiques Dynasties, il n'y eut pas le moindre trouble. Parfait était l'enseignement des souverains. Mais sur le déclin des deux derniers, des Xia et des Shang, il ne restait pas un sujet soumis dans l'Empire, car telles étaient les mœurs de la populace. C'est pourquoi les souverains ont fondé des écoles et des académies afin de diffuser la morale et la civilité parmi les masses, et de contenir leurs mauvais penchants, afin de leur inculquer les bienfaits de la morale, de leur insuffler la bienveillance et de les éveiller au bien. Lorsque les bonnes manières et le sens moral règnent sur l'esprit du peuple, même les laboureurs se cèdent le pas sur le bord des champs, mais quand ces saints principes sont abandonnés, les gentilshommes se chamaillent à la Cour. La richesse permet à la bonté de s'épanouir ; l'abondance met fin à la discorde. Si quelqu'un, à la tombée de la nuit, vient frapper à la porte pour demander de l'eau ou du feu, le plus pingre des hommes ne le repoussera pas. Pourquoi? Parce que ce sont là choses que tout le monde possède en abondance. Si ceux qui gouvernent arrivent à rendre le mil et le riz aussi courant que l'eau ou le feu, il n'y aura pas un seul homme pour bafouer la bienveillance.

Dangers de l'aisance.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Les débauchés qui aiment les jeux et les chevaux sont tous fils de riches seigneurs. On ne peut dire d'eux qu'ils vivent dans l'indigence ! En réalité, si le peuple est riche, il devient dépensier ; s'il possède l'abondance, il devient prodigue. Il est futile dans ses loisirs et, dès qu'il agit, il fait le mal. Je ne vois pas que l'aisance fasse pratiquer la vertu. Si l'on est d'une nature paresseuse ou dépensière, on connaîtra nécessairement la pauvreté, aurait-on des biens en quantité aussi inépuisable que le sont l'eau et le feu. Quand le peuple est prodigue, même si ses maîtres l'assistent dans ses travaux, il n'aura jamais rien en suffisance.

Abondance et pudeur.
LES SAGES. - Quand le duc de Tcheou exerçait sa charge de Premier ministre du roi Cheng, le peuple vivait heureux et prospère. Il n'y avait pas un miséreux dans tout le royaume ; et cela sans que l'État donnât des subventions pour l'assister dans les activités agricoles et textiles.

En procédant à une nouvelle répartition des terres et en allégeant les impôts, on peut apporter le bien-être aux cultivateurs. Quand, au sommet de la hiérarchie, on sert le prince et ses proches, quand, en bas de la pyramide sociale, le peuple ne souffre ni de la faim ni du froid, la morale se répand dans l'Empire. Dans les Entretiens, ne dit-on pas : « Une fois que le pays est prospère, que faut-il encore ? Le Maître répondit : "Éduquer le peuple." » Éduqué par la vertu, pacifié par les rites, le peuple agit conformément au sens moral et au bien. Personne alors qui ne pratique la piété filiale et ne vénère ses aînés. Comment dans une telle société y aurait-il place pour la prodigalité, la cruauté ou le relâchement ? Le Kouan-tseu eut une belle formule : « Quand les greniers sont pleins, on connaît les rites et la mesure. Quand le peuple a tout en suffisance, il connaît la pudeur. » Un peuple prospère agit conformément aux rites.

Difficultés de la vertu.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - L'État est à l'égard du peuple comme un père compatissant avec ses fils. Le souverain laboure lui-même au début du printemps le champ royal pour inciter le peuple à l'ouvrage, il distribue des biens afin d'aider les nécessiteux. Il fait écouler les eaux stagnantes, pardonne aux criminels légers, veille à ce que le peuple travaille selon les saisons. La vertu du souverain n'a pas cessé de s'exercer. Et si jusqu'aujourd'hui il y a encore des pauvres, cela montre la difficulté qu'il y a à pratiquer la vertu.

Campagnes désertées.
LES SAGES. - Quand le peuple manque du nécessaire, les impôts rentrent mal. Quand le peuple travaille peu, les résultats sont minces. Il faut inculquer au peuple le goût du travail et ne jamais le distraire de ses tâches. Zhao Po écoutait les plaignants à l'ombre d'un sorbier afin de protéger les intérêts des paysans. Aujourd'hui, alors que les pluies de printemps sont tombées, on ne songe même pas à semer les graines ; en automne, les récoltes pourrissent sur pied sans qu'on les fauche. La campagne est un désert, mais les bourgs et les hameaux forment de véritables villes. À l'équinoxe de printemps, on se contente de suspendre des banderoles vertes et de fouetter un bœuf de terre pour chasser l'hiver. Ce n'est peut-être pas suffisant pour promouvoir l'agriculture !

17 oct. 2012

Dispute sur le Sel et le Fer (25)



DU BON USAGE DES CHÂTIMENTS


La trique assouplit les hommes.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - La mauvaise herbe est la ruine des récoltes ; les scélérats sont la plaie d'une nation. Quand on extirpe la mauvaise herbe, les récoltes prospèrent ; lorsque l'on châtie les méchants, le peuple vit dans la joie. Le duc de Tcheou et Confucius n'ont pu s'abstenir de recourir aux châtiments. Il ne reste pas beaucoup de vaisselle intacte là où il y a des enfants gâtés. Que dire quand il s'agit de tout un peuple ! Les hommes deviennent arrogants quand on les traite avec amour, ils s'assouplissent sous la trique. Les peines restent les meilleurs instruments pour ramener le peuple à la raison, tout comme la bêche permet de débarrasser le bon grain de l'ivraie.

Le bon cavalier ménage sa monture.
LES SAGES. - Jadis, on conduisait le peuple par une morale sévère et on veillait à ce que les châtiments soient justes. Les châtiments sont au gouvernement ce que la cravache est à l'équitation. Un bon cavalier ne conduit pas sa monture sans cravache, mais il s'arrange pour n'avoir pas à s'en servir. Un sage souverain répand la morale par ses lois. Quand la morale est connue du peuple, il n'a plus besoin de punir. Car un prince qui impose le respect n'a pas besoin de tuer pour se faire obéir. Quand les châtiments sont fermement établis, plus personne ne songe à les braver. En abandonnant tout précepte moral, vous vous êtes privé d'un garde-fou, en ruinant la civilité et le sens moral, vous avez abattu les remparts qui vous gardaient des excès de vos sujets. Le peuple est comme pris au piège ; et vous n'avez rien trouvé de mieux que de le traquer en brandissant au-dessus de lui les foudres de la loi. Vous avez ouvert les portes d'un cachot pour tirer des flèches empoisonnées sur le prisonnier. Par cette méthode, vous ne parviendrez qu'à exterminer tous vos sujets. « Si vous découvrez un coupable, gardez-vous de vous réjouir », est-il dit dans les Entretiens. Et vous qui vous félicitez d'attraper un criminel au lieu de vous désoler que vos sujets ne connaissent pas la paix, vous nous faites penser à un guerrier muni d'une hallebarde qui se réjouirait de voir le malheureux gibier pris dans les filets et les collets. Regardez ceux qui subissent les châtiments : de nos jours, il ne semble pas qu'il faille être un grand criminel pour encourir les rigueurs de la justice ! Nous craignons fort qu'à ce train-là, il ne reste plus une seule pousse dans les champs avant qu'on n'ait séparé le bon grain de l'ivraie, et que tous les hommes soient enterrés avant d'être gouvernés.

Les origines des désordres populaires sont à rechercher dans le gouvernement ; celles des désordres du gouvernement dans la personne des dirigeants. Quand ces derniers sont probes, l'Empire est ferme sur ses bases ; c'est pourquoi le prince loue les hommes capables et a pitié des criminels. Sa bonté s'étend jusqu'aux malfaiteurs. Ses bienfaits apaisent les misères des pauvres ; il se réjouit de prodiguer ses faveurs et s'émeut d'avoir à punir.

15 oct. 2012

Dispute sur le Sel et le Fer (24)

C'est la haute fustige envers le pouvoir établi... Les Sages remettent les dirigeants à leur place, lorsqu'il s'agit de corruption : « [...] Si vous voulez que les fonctionnaires soient honnêtes, commencez par vous-mêmes. La cause de la cupidité des fonctionnaires n'est pas à chercher en bas, mais en haut. La morale n'est pas faite par le peuple, mais par ceux qui le dirigent. »

Nous pouvons mesurer à quel point nous sommes (hélas) loin de cette réflexion, à propos de la répression : « Quand les grands officiers ou les ministres appliquaient un châtiment, ils ne pouvaient s'empêcher d'être émus et, bien que la peine fût méritée, ils examinaient encore s'il n'existait pas une des trois causes de pardon, et ne procédaient à l'exécution de la peine qu'en soupirant. Car ils avaient honte de n'avoir pu réformer le criminel et se désolaient de son imperfection. »

Le Grand Secrétaire se fait clacher, et sa langue de bois ne lui est d'aucun secours...





L'OCÉAN ET LES PETITS RUISSEAUX
DE LA CORRUPTION



Du supérieur à l'inférieur.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Plus les médecins sont incompétents et plus ils veulent qu'on leur prodigue des remerciements, de même que pires sont les fonctionnaires et plus ils dépouillent les populations. Les plus hauts placés exploitent leurs inférieurs et ces derniers se revanchent sur le peuple. C'est pourquoi ce n'est pas du manque de discernement dans le choix du personnel que souffre notre administration, mais des exigences des fonctionnaires. Non que leurs salaires soient trop bas, mais parce qu'il n'y a pas de limite à leurs revendications.

Les systèmes de rémunération.
LES SAGES. - Le vieux système de rémunération des fonctionnaires était le suivant : les postes de grands officiers et de ministres permettaient d'entretenir dans l'aisance des sages et des clercs. Les revenus que procurait le titre de gentilhomme donnaient à son détenteur et à sa famille tous les biens dont ils avaient besoin. Les roturiers qui avaient une charge dans l'administration recevaient une somme correspondante aux revenus d'un laboureur et pouvaient en vivre décemment. Mais, de nos jours, les émoluments des fonctionnaires subalternes sont bien maigres : ceux qui, au titre de la corvée, doivent se rendre jusque dans les trois districts de la capitale, au centre du Shensi, où le riz est cher, sont réduits à la portion congrue au point qu'ils ont à peine de quoi payer leurs vêtements et leur nourriture ; que survienne un accident quelconque, et ils doivent vendre leurs biens et leurs terres. Mais il n'y a pas que cela : les chefs de la corvée se mettent des bâtons dans les roues, les bureaux des préfectures exercent sur eux des pressions, et les comptables des préfectures ou commanderies exercent leur tyrannie sur les fonctionnaires subalternes. Tous les moyens leur sont bons pour tirer des bénéfices. Les grands fonctionnaires demandent des pots-de-vin. La préfecture pressure la sous-préfecture, qui à son tour profite du canton. Et où le canton pourrait-il prendre ce qu'on lui demande ? Un dicton ne dit-il pas : « Les exactions se répercutent vers le bas, comme l'eau suit toujours la ligne de plus grande pente ; jamais ce flux ne s'épuise, jamais il ne s'arrête. » Aujourd'hui, nous voyons de grands fleuves et de larges rivières abreuver la mer immense. L'océan recueille leurs eaux et ils veulent que les ruisseaux et les torrents leur cèdent la leur ; c'est pourquoi, dans les circonstances actuelles, il est exclu que les fonctionnaires soient intègres. Si l'on veut que l'ombre soit droite, il faut redresser le cadran solaire, si vous voulez que les fonctionnaires soient honnêtes, commencez par vous-mêmes. La cause de la cupidité des fonctionnaires n'est pas à chercher en bas, mais en haut. La morale n'est pas faite par le peuple, mais par ceux qui le dirigent.

Une affaire de caractère.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Bonté et méchanceté dépendent de la nature de chacun, de même que la cupidité et la bassesse sont affaires de caractère. Le sage cultive sa propre vertu à l'intérieur de lui-même ; mais il ne peut rien pour changer ses semblables. Aujourd'hui, vous vous permettez de nous critiquer sur toute chose, mais comment pourrions-nous agir si vous nous liez les pieds et les mains ?

Le cheval et le palefrenier.
LES SAGES. - Quand le cheval est rétif, la faute en revient au palefrenier ; quand le peuple est frondeur, la faute en revient aux gouvernants. Les Annales des printemps et des automnes n'adressaient pas leurs critiques au menu peuple mais aux hommes politiques. Quand les grands officiers ou les ministres appliquaient un châtiment, ils ne pouvaient s'empêcher d'être émus et, bien que la peine fût méritée, ils examinaient encore s'il n'existait pas une des trois causes de pardon, et ne procédaient à l'exécution de la peine qu'en soupirant. Car ils avaient honte de n'avoir pu réformer le criminel et se désolaient de son imperfection. Quand un gouvernement ne dispense pas l'éducation d'une manière lumineuse, le peuple trébuche et tombe à chaque pas sans personne pour l'aider à se relever ; il est comme un nourrisson au bord d'un puits, dont on attendrait la chute les bras croisés. Si le prince se conduit de cette façon à l'égard de ses sujets, peut-on encore l'appeler père et mère du peuple ? Un monarque doit porter toute son attention sur la diffusion de la morale et se montrer circonspect dans tout ce qui touche aux châtiments. Pour un criminel châtié, il en réforme cent ; une seule exécution capitale donne à réfléchir à dix mille. Après un châtiment exemplaire, le peuple se conforme aux rites et observe ses devoirs. Les supérieurs modèlent leurs sujets, comme le vent courbe les herbes. Nul n'échappe à leurs enseignements. En quoi essayons-nous de vous entraver ?

11 oct. 2012

Zapping « spécial Syrie »

Maurice, du Cercle des Volontaires, vous présente 15 minutes de zapping « spécial Syrie ».

Retrouvez le meilleur – et le pire – des médias français sur le conflit syrien : des images de ces derniers mois, avec BHL, Les Guignols de l’info, Alain Juppé, Laurent Fabius, Aymeric Chauprade, François Asselineau, Thierry Meyssan, Alain Soral, Eric Zemmour, …

10 oct. 2012

11 septembre, 11 ans après

Aujourd'hui, que pensent les français de cette journée qui marqua pour longtemps la politique internationale ?

Notre micro-trottoir a été réalisé le 11 septembre 2012, entre Châtelet-les-Halles et le Vercors. Il n’est certainement pas représentatif de l’entièreté de la population française, mais dénote un paradoxe étonnant.

Bien que la grande majorité des interrogés affichent un scepticisme face aux médias traditionnels et à la « version officielle » du 11 septembre, bien peu ont effectué des recherches personnelles afin de confronter ce qu’on leur assénait aux faits, ainsi qu’aux enquêtes et études effectuées par des citoyens indépendants.

La diabolisation médiatique des « chercheurs de vérité » semble finalement avoir eu un effet dévastateur dans l’opinion.



Voici un documentaire réalisé par le Cercle des Volontaires, relativement didactique, sur les principales découvertes faites depuis, à propos de cet événement. Beaucoup d’entre vous ne découvriront rien en visionnant cette vidéo, mais elle servira peut-être de déclic à certains ; n’hésitez donc pas à la partager !



Voici une interview d’Olivier Taymans, citoyen belge engagé dans la critique média (auteur du documentaire Epouvantails, autruches et perroquets : 10 ans de journalisme sur le 11 septembre). Olivier Taymans analyse le traitement de ces attaques comme une véritable faillite du journalisme. Pour lui, la plus grave menace qui pèse sur les journalistes est l’auto-censure, causée par une inquisition médiatique qui frappe toute personne qui ose aborder ce sujet. « Ce n’est définitivement pas un bon sujet pour eux », nous accorde Olivier.

La remise en cause des versions officielles des événements du 11 septembre (Comme celles qui expliquent l’effondrement de la tour 7 -fait déjà inconnu d’une grande partie de la population en soit- ou l’attaque du Pentagone par exemple) n’a finalement jamais fait l’objet d’enquête journalistique de fond de la part des médias français. Pourtant, certaines découvertes furent étonnantes, comme la présence d’explosifs dans tous les échantillons de poussière des bâtiments WTC 1, 2 et 7… Cela aurait été un magnifique scoop, non ?

7 oct. 2012

Le Prophète Obama fait le toutou devant l’AIPAC

Vous connaissez peut-être l’AIPAC, un des principaux lobbies sionistes américain, une sorte de CRIF puissance 10… Barack Obama est allé faire ses courbettes et ses révérences devant ce très puissant lobby vendredi 27 juillet 2012.

Mais pourquoi affubler le président américain du titre de prophète ? Ce n’est qu’un prophète de la guerre, et prix Nobel de la paix qui plus est ! Oui, mais dans son discours, ces petites phrases m’ont fait bondir : « La sécurité d’Israël est sacro-sainte », « Je crois que c’est Dieu qui a guidé mes actions [en faveur d'Israël] en tant que président », « Dieu bénisse Israël »…

Propagande oblige, Obama reprend le mensonge à propos de la déclaration de Mahmoud Ahmadinejad, le fameux « rayer Israël de la carte » … Ceci n’est qu’un juste retour des choses, étant donné que l’AIPAC fut, avec le JPCA, le B’nai B’rith Canada et l’Israel Project, l’un des principaux diffuseurs du mensonge accusatoire envers le président iranien.

Bref, il n’y a là rien de très surprenant, malheureusement. Je crois que l’essentiel est dit dans cette phrase riche en nuance : « Il ne devrait pas y avoir l’ombre d’un doute : j’ai fait le choix d’Israël ». Les palestiniens, ainsi que tous les épris de justice, apprécieront…

5 oct. 2012

Interview de Bassam Tahhan sur la situation en Syrie

A propos du conflit syrien, beaucoup de français ont renoncé à essayer de démêler le vrai du faux, sans doute à cause du flot continu d’informations très manichéennes que nos médias dits « main-stream » nous envoient quotidiennement sur le sujet. On peut les comprendre..

C’est pourquoi je suis heureux de pouvoir relayer cette interview, didactique, accessible, et (à mon avis) pondérée sur le sujet brûlant de la situation sanglante en Syrie, qui oppose le régime Baas syrien dirigé par Bachar Al-Assad, et l’ASL et ses alliés (Al-Qaïda et consort).

Une fois n’est pas coutume, je tiens à remercier tout spécialement l’interviewé lui-même, Bassam Tahhan, pour nous avoir encouragé à faire cette interview.


Minutage :

(00’12) Présentation de Bassam Tahhan, professeur de Géopolitique et de Lettres arabes au lycée Henri IV.

(03’19) Bassam Tahhan, spécialistes des différentes variantes du Coran.

(04’30) Avant la crise : le régime Baas syrien, et Bachar Al-Assad.

(08’53) Le printemps syrien
Des manifestations démocratiques infiltrées par des éléments extérieurs, qui ont provoqué la confusion en tirant à la fois sur les forces de l’ordre et les manifestants.

(11’28) La rébellion armée en Syrie
Le Club de Paris, l’Arabie Saoudite, l’ASL, le CNS, la position du gouvernement français.

(15’39) L’influence des puissances étrangères sur le conflit
L’Arabie Saoudite, le « Croissant Chiite », le Wahhabisme, Al-Jazeera.
Témoignages sur les récents combats à Alep.
Les islamistes majoritaires parmi les rebelles, honnis par la population.
Les deux OSDH.
Analyse géostratégique sur le risque d’escalade militaire dans la région.

(23’54) Mobile de déstabilisation de la Syrie
Le but de l’occident et de ses alliés dans la région (Israël, Arabie Saoudite).
L’Iran et le Hezbollah sont-ils les « prochains sur la liste » ?
Risque de 3ème guerre mondiale : soutien de l’Iran, la Russie et la Chine à la Syrie.

(29’28) La guerre civile va-t-elle s’enliser et durer ?
L’occident cherche-t-il autre chose que la destruction du pays ?
Le deux poids deux mesures de la politique étrangère occidentale.
La politique Fabusienne envers la Syrie.

Merci également à Karim Mansouri, du collecitf Pas En Notre Nom

D’après Israël Shamir, Tel Aviv recherche la somalisation de la Syrie

Désormais, nous relaierons régulièrement certains articles dont nous ne sommes pas les auteurs, spécialement lorsque ceux-ci contiennent des informations qui nous semblent pertinentes, et (quasiment) absentes des médias francophones. Le présent article, dont Israël Shamir est l’auteur, est paru en anglais le 30 juillet 2012 sur le site CounterPunch.

Israël conserve sa capacité à contrôler les rebelles islamistes syriens. Netanyahou n’est pas inquiet de la possible désintégration de la Syrie. Malgré l’opinion admise selon laquelle les Israéliens préfèrent un Assad stable et familier à la grande inconnue de la guérilla islamique, l’information nouvelle et sensationnelle que nous venons de recevoir souligne le contraire, à savoir que les Israéliens préfèrent la somalisation de la Syrie, son éclatement et l’élimination de son armée, car cela leur permettra de s’attaquer à l’Iran sans obstacle.

C’est ce qu’implique un dossier secret récemment divulgué par une personne(s) proche du ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman. Il contient un enregistrement des conversations entre Bibi Netanyahou, Avigdor Lieberman et le président russe Vladimir Poutine lors de la visite récente de ce dernier en Israël. Les Israéliens ne semblent pas avoir de doutes sur son authenticité. Counterpunch a reçu le fichier d’origine, et voici les faits saillants de cette conversation (dans notre traduction de l’hébreu):

Netanyahou a demandé à Poutine de faciliter le départ de Bachar Al-Assad.

« Vous pouvez désigner son successeur, et nous ne nous y opposerons pas, a déclaré le Premier ministre israélien. Mais Il y a une condition – le successeur doit rompre avec l’Iran ».

Poutine a répondu : « nous n’avons pas de candidat pour succéder à Bachar. Et vous ? »

« Non, nous n’en avons pas, a répondu M. Netanyahou, mais nous allons vous dire notre préférence bientôt. »

Apparemment, Israël peut influer sur les rebelles, dans la mesure où il  suppute qu’ils choisiraient  d’accepter un successeur acceptable pour Tel-Aviv. Cela signifie que la chaîne du commandement des rebelles va bien au-delà des chefs de troupe indisciplinés sur le terrain, au-delà du Qatar et l’Arabie saoudite, au-delà de Paris et Washington, et débouche tout droit sur Israël. Il est bien connu que les rebelles cherchent l’amitié avec Israël, mais personne ne pensait qu‘Israël était en mesure de les contrôler dans une telle mesure.

Il va de soi que Netanyahou avait reçu le feu vert de Washington pour faire une telle offre. Cela signifie que pour les États-Unis et Israël, cela ne dérange pas que la Syrie reste dans la sphère d’influence russe, à condition qu’elle coupe ses liens avec l’Iran. Et c’est cela qui indique qu’Israël est la force motrice derrière les rebelles, car autrement, un tel arrangement serait inacceptable pour les Américains.

Cependant, il est possible que l’offre de Netanyahou ait été une simple ruse pour découvrir les intentions russes. En tout cas, c’est ce qu’a pensé Poutine, et il a répondu dans la même veine :

« Nous ne devons rien à Assad, » a déclaré M. Poutine. « Avant la rébellion, il était un visiteur fréquent à Paris plutôt qu’à Moscou. Nous n’avons pas de programme secret en ce qui concerne la Syrie. J’ai demandé au président Obama quelles sont les intentions des États-Unis en Syrie ; pourquoi les Américains rejettent Assad. Est-ce à cause de son incapacité à se réconcilier avec Israël ? Ou à cause de ses liens avec l’Iran ? En raison de sa position sur le Liban ? Je n’ai reçu aucune réponse sérieuse. Notre motivation, a dit Obama, c’est la répression violente d’Assad contre le peuple syrien. Je lui ai répondu que la violence est causée par le Qatar et l’Arabie, par leurs interférences. »

On comprend que Poutine est perplexe : s’il lui a été offert de garder la Syrie dans la sphère russe, pourquoi les USA s’en prennent-ils au gouvernement syrien ? Peut-être, les États-Unis relayent-ils simplement les instructions d’Israël ? Et quelles sont les intentions d’Israël ?

« L’objectif d’Israël est la somalisation de la Syrie, à la suite de la somalisation de l’Irak, » a déclaré M. Poutine, et Netanyahou n’a pas rejeté son interprétation.

Ces mots durs de Poutine répondent à la question des intentions américaines et israéliennes. Telle était la position de Yinon, stratège israélien et des néo-conservateurs : la somalisation de la région. Les dirigeants israéliens obéissent encore à leur stratégie à cout terme de déclencher la guerre civile en Syrie, en supprimant Assad, et en plongeant la Syrie dans un bourbier de groupes armés qui ne constitueraient pas un obstacle pour les avions israéliens cherchant à atteindre l’Iran. C’est un jeu risqué, comme il était risqué d’attaquer le Liban en 2006, mais Israël a un  complexe militaire tellement puissant qu’il a besoin de prendre des risques, qui seraient inutiles autrement.

Le dossier de la conversation Poutine-Netanyahou contient deux importantes concessions russes envers Israël : Poutine a promis de rompre le contrat sur l’offre de systèmes S-300 de missiles anti-aériens à Damas (et il l’a fait) et d’arrêter les fuites d’informations de missiles utiles au Hezbollah.

Le ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman a profité de la réunion pour se plaindre de la chaîne audacieuse Russia Today :

« Le bureau israélien de RT se répand en propagande anti-israélienne. Ils ont diffusé des entretiens avec Hassan Nasrallah [probablement une référence à l'entrevue que celui-ci a accordée à Julian Assange]. Nous avons parlé à des journalistes RT privé, mais ils ne bougeront pas, arguant en cela des instructions de Moscou. Vladimir Vladimirovitch [Poutine], s’il vous plaît, penchez-vous sur la politique éditoriale de RT de sorte qu’elle devienne objective envers d’Israël…. »

Cette plainte s’inscrit bien dans la pratique israélienne de faire pression sur les médias étrangers. Récemment, l’ambassadeur israélien à Washington a tenté d’interférer avec CBS et de censurer Bob Simon au sujet de son reportage sur ​​les chrétiens palestiniens, causant beaucoup de ressentiment aux  États-Unis. Les Israéliens ne peuvent toujours pas s’habituer à l’existence d’une presse relativement libre.

La principale conclusion des échanges qui ont fuité, c’est que les dirigeants israéliens continuent d’aimer vivre dangereusement. Alors que certains autres pays, notamment la Russie, sont à la recherche de la stabilité, les Israéliens aiment le jeu, et le jeu pour le pouvoir. Qui ne risque rien n’a rien, disent-ils. Ils sont prêts à accepter des risques à court terme pour des gains à long terme. Et l’élimination de l’armée syrienne est certainement un gain à long terme pour Israël.

Israël Shamir est correspondant de CounterPunch à Moscou

4 oct. 2012

Anne-Cécile Robert (Monde Diplomatique) et la « guerre humanitaire »

Anne-Cécile Robert, journaliste au Monde Diplomatique depuis 15 ans, a accepté de répondre à nos questions. Nous avons souhaité faire une interview pédagogique, visant à rendre compréhensible les enjeux de la notion d’ingérence, du traitement de l’information, de la réalité de notre si imparfaite « Démocratie »… Grâce à la remarquable intervention d’Anne-Cécile Robert, le résultat est au rendez-vous !

Eric Hazan pour un Etat unique en Israël-Palestine

Eric Hazan présentait son livre (co-écrit avec Elya Sivan) « Un État commun entre le Jourdain et la mer » à la librairie Tropiques. A la suite de la conférence, nous lui avons posé quelques questions sur cette problématique pouvant ouvrir des perspectives de paix justes et durables dans la région.

Un livre, accompagné d’un film qui explore des voies peu évoquées dans le débat public traditionnel lorsque le conflit israélo-palestinien est traité. Arrivera-t-il à relancer le dialogue sur le sujet en France ?

Interview de Jean Bricmont sur la « guerre humanitaire »

Nous avons souhaité interviewer l’intellectuel et écrivain belge Jean Bricmont suite à son intervention à l’UNESCO le 14 juin 21012.

Il revient ainsi sur la notion fallacieuse de « guerre humanitaire », et dénonce un conditionnement idéologique provenant des médias de masse, qui visent selon lui à rendre acceptable aux yeux de l’opinion publique une intervention militaire en Syrie. Enfin, il revient sur l’affaire Piccinin, pour laquelle il a été calomnié jusque dans les colonnes du journal Le Monde.


Voici la retranscription de l’interview :

Cercle des Volontaires :
Jean Bricmont, bonjour, vous venez d’intervenir à l’UNESCO en dénonçant les interventions humanitaires. Aujourd’hui, la France et certains pays de l’OTAN ont des intentions belliqueuses en Syrie, et justifient cela par une possible guerre humanitaire. Donc est-que vous pouvez informer les français sur cette notion, et pourquoi ils doivent s’en méfier ?
 

Jean Bricmont :
Si on regarde l’Histoire, on voit que toutes les guerres sont toujours justifiées par des mobiles altruistes : vous avez le christianisme, la mission civilisatrice, le « fardeau de l’homme blanc »… Hitler, par exemple, c’était la défense contre le bolchévisme. Et après la guerre, c’était la lutte contre le communisme, puis la lutte contre la terreur, etc.
 
Mais en France, aujourd’hui, c’est principalement la guerre pour les droits de l’homme, l’ingérence humanitaire. J’en ai développé ici toute une critique : imaginons que la Russie s’autorise une ingérence humanitaire en Syrie, ou au Barhein par exemple. S’ils faisaient cela, je pense que nous aboutirions rapidement à une guerre mondiale. Ce ne serait pas accepté par les puissances occidentales que des pays puissants militairement, ceux qui techniquement pourraient le faire, s’ingèrent dans les pays du moyen-orient comme nous essayons de le faire.
 
Et donc, la paix mondiale – qui n’est pas une plaisanterie, parce qu’une guerre mondiale provoquerait la mort de dizaines de millions de personnes, ce serait autre chose que ce dont on nous parle en Syrie -, la paix mondiale dépend d’un ordre international qui a été construit après la deuxième guerre mondiale, et qui est basé sur le respect de la souveraineté nationale de chaque pays, pour éviter justement ce qui avait été fait avant la guerre et qui avait mené à la deuxième guerre mondiale, à savoir l’ingérence de l’Allemagne dans les affaires de la Tchécoslovaquie, puis de la Pologne, au nom, après tout, de la défense des minorités, ce qui est le genre de prétexte que nous avons utilisé au Kosovo, ou avec les Kurdes en Irak, etc.
 
Et donc, on a toujours cette politique des grandes puissances, qui invoquent toujours des mobiles nobles, mais qui d’une certaine façon, risque de nous mener dans une guerre sérieuse, et qui est en tout cas une violation totale de l’ordre international tel qu’il a été établi après la guerre, ordre qui pour moi était un progrès fondamental.
 
Alors, j’aurais toute sortes d’arguments à développer. Je pense que le monde irait beaucoup mieux si, au lieu de dépenser leurs ressources en armement, en surveillance, en drones, en missiles, les états occidentaux choisissaient une politique de paix. Un politique de paix, ce serait une politique de coopération, de dialogue avec les autres pays, y compris la Russie, la Chine, l’Iran, la Syrie évidemment. Cette politique est impossible aujourd’hui, même si un responsable politique voulait la mener. Par exemple, je ne sais pas ce que pense François Hollande en son for intérieur ; probablement s’adapte-t-il aux circonstances. Mais même s’il pensait qu’il faudrait une autre politique, ce serait impossible à cause des médias en France. Il y a un tel bombardement médiatique !
 
Et pour Obama, c’est pareil. Je suis convaincu qu’Obama est tiède par rapport à cette politique, et certainement tiède par rapport à la politique de Netanyahou, par exemple, mais il ne peut rien faire, parce qu’il aurait les médias et le Congrès sur le dos. En France, madame Aubry, hier, s’est vantée de ce que la France était redevenue une puissance sur la scène internationale parce qu’elle avait dit à Assad de s’en aller, et à Poutine de cesser d’empêcher la soi-disant communauté internationale  (qui ne représente évidemment pas le monde dans son entier, puisque la Chine, la Russie n’en font pas partie) d’obliger Assad à partir.
 
Alors, c’est quand-même extraordinaire ! En plus, lorsque l’on réfléchit au rapport de force, à la crise dans laquelle se trouve l’Europe, et la France elle-même, c’est un peu la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf, et qui va dire à Poutine ce qu’il doit faire, alors que Poutine a l’alliance de la Chine, il représente le mouvement des non-alignés dans cette affaire, il est allié à l’Iran…
 
Pour qui se prennent-ils ? C’est sur-réaliste ! Il y a des gens qui voient dans l’idéologie des Droits de l’Homme un prétexte pour la guerre, mais moi j’ai tendance à y voir une cause de la guerre, une cause qui devient sui generis, parce qu’elle entraine l’occident dans une espèce de folie qui lui donne une illusion de grandeur qu’il n’a plus, qu’il a perdu depuis la décolonisation, avec la montée en force des puissances émergentes, et on va vers une espèce de folie. Je ne sais pas si on va bombarder directement la Syrie, je ne sais pas s’ils oseront le faire, mais on va armer les rebelles en Syrie de façon à créer le chaos dans ce pays pour une durée indéterminée. Je ne sais pas comment cela va se terminer…
 

C.d.V :
Votre réaction à la discrimination des voix discordantes dont Michel Collon et vous-même, par exemple, avez été victimes, jusque dans les colonnes du Monde ?
 

J. B. :
Dans les colonnes du Monde, ils ont interviewé Pierre Piccinin, chercheur belge qui a été en Syrie plusieurs fois, et qui avait fait des reportages jugés « pro-Assad ». Personnellement, je ne pense pas qu’ils fussent « pro-Assad », mais ils tendaient à minimiser la force de la contestation, ils parlaient de mensonges de la presse occidentale, qu’il démontrait d’ailleurs, puisqu’il démontrait que des attaques contre, je crois, un bureau du Baas  avait été inventé par la presse.
 
Lors de son troisième séjour en Syrie, il a été arrêté, malmené, il a vu des tortures, ce qui l’a  fait virer de bord. Il est devenu un apologiste de l’intervention militaire. S’il change d’avis sur Assad, ça, ça ne me dérange pas. Moi, ma position contre l’ingérence est basée sur une tonne d’arguments qui n’ont rien à voir le régime de Assad, donc je ne trouve même pas nécessaire d’avoir un débat sur ce régime. Mais lui a changé d’avis à cause de ça. Évidemment, il faut dire qu’il a été un peu téméraire d’aller dans un pays en guerre civile, ou en guerre étrangère si elle n’est pas civile, et croire qu’il allait faire le tour de tous les mouvements de rébellion sans avoir d’ennuis avec la police, mais bon…
 
Toujours est-il que dans l’interview du Monde, ils se moquent de lui, en disant qu’il a été naïf, ils le comparent à Tintin ; ils disent que maintenant, il s’est converti, qu’il a vu la lumière du jour. Dans la foulée, ils font un articulet sur ses « amis » qui sont Michel Collon, moi-même, et par association diffamatoire, Alain Soral, Dieudonné, Robert Faurisson, et Thierry Meyssan.
 
Et donc on a le réseau pro-Assad en France : un français vivant à l’étranger (Meyssan), Soral et Dieudonné, et deux belges (Collon et moi-même)… et Faurisson, qui n’a pourtant rien à voir dans cette histoire, mais qui est mis simplement pour discréditer tout le monde. Et donc, ils font un article sur les réseaux « pro-Assad » en France qui est assez sur-réaliste. Ce sont ces façons de présenter les choses qui font qu’aucun débat n’est possible ! Moi, par exemple, je ne suis jamais allé en Syrie, je n’ai même jamais rien écrit sur la Syrie ! Je ne sais pas ce que ça veut dire, être dans les réseaux « pro-Assad »… Mes positions ont toujours été contre la politique d’ingérence globalement. La politique de non-ingérence, elle s’applique à Cuba, au Venezuela, à la Chine, à la Russie, à l’Iran, à la Palestine, l’Afrique du Sud, le Chili… Il n’est pas question de la Syrie en particulier. La Syrie pourrait ne pas être en crise, et tout ce que je dis serait inchangé à la virgule près.
 
Et donc, nous mettre dans les réseaux « pro-Assad »… Et en plus, le raisonnement est remarquable, parce que le raisonnement, c’est de dire que je soutiens la liberté d’expression en général, donc en particulier pour Faurisson, mais aussi à vrai dire pour les filles qui veulent mettre un voile, pour toute sorte d’autres personnes dont j’estime que la liberté d’expression est réprimée. Et quand je fais cela, on me dit : « Ah ! Il défend la liberté d’expression de Faurisson ». Or Dieudonné et Soral seraient les bienvenus en Syrie parce qu’ils sont proches de Faurisson. Je ne sais pas où ils ont été cherché ça, je ne vois même pas le lien, là. Et donc moi je serais dans les réseaux « pro-Assad » suite à ce « raisonnement ».
 
Mais en réalité, bien sur, ni Dieudonné, ni Soral, ni évidemment Faurisson qui est tout-à-fait en dehors de ça, ni Michel Collon, ni moi-même ne sommes dans des réseaux « pro-Assad ». D’ailleurs, il n’y a pas de réseau « pro-Assad » en France. On dénonce une crainte imaginaire, c’est un peu comme la guerre contre la terreur, on a l’impression, comme ça, qu’il y a une nébuleuse rouge-brune-verte-jaune-je-sais-pas-quoi, qui est là, qui rôde partout, qui va violer votre petite fille… Mais en réalité, il n’y a rien. Mais du coup, il n’y a pas de voix dissidente.
 
A l’étranger, par exemple, Brzezinski et Kissinger, qui ne sont pas exactement des petits gauchistes, et qui ne sont pas exactement sur ma ligne politique, ont lancé des appels contre la guerre en Syrie. Le Frankfuerter Allgemeine Zeitung a fait un article sur le massacre de Houla, en disant que ce n’était pas si simple, que ce n’était probablement pas le gouvernement. Donc il y a des voix en dehors de France dans les médias main-stream, des gens même de droite, qui s’opposent à l’intervention armée. Mais en France, le débat est impossible. Le débat est rendu impossible, parce qu’on prend quelques personnes marginales, et on dit « Oulala, il y a des réseaux pro-Assad. Donc surtout, ne touchez pas à ces gens-là ». Et à fortiori, si devaient s’exprimer, je ne sais pas, quelque intellectuel ou homme politique français qui aurait une vue différente sur le moyen-orient, il serait tué d’office, parce qu’on lui montre ce qui va lui arriver, il va être mis dans les réseaux « pro-Assad », comme Collon, comme Bricmont, etc.
 
Et donc, si nous pouvons être mis à la poubelle de la sorte, forcément, personne ne veut être associé à nous, et être mis dans le même sac. Le système français, honnêtement… Je suis désolé de le dire parce que j’aime bien la France, j’aime bien la laïcité à la française en principe, mais je n’aime pas le caractère totalitaire d’une bonne partie de votre presse.
 

C.d.V. :
Durant votre intervention à l’UNESCO, vous avez mentionné le dernier film de Bernard-Henri Levy. Est-ce que vous pourriez développer ce point ?
 

J. B. :
En fait, j’ai pensé à lui parce que j’ai voulu faire une plaisanterie, en disant qu’il était à la fois Cinéaste, Guerrier en Chambre, et Philosophe. En fait, je dois dire que ça m’est venu à l’esprit tout-à-fait par hasard, parce que je suis en train de lire pour me distraire « Le Siècle de Louis XIV » de Voltaire, et à un moment donné, il parle de La Rochefoucauld, qui avait fait exécuter quelqu’un en représailles contre la mise à mort de quelqu’un de son propre camp, et Voltaire dit : « et ce monsieur se prétend philosophe ». Alors je me suis dit, Bernard-Henri Levy, c’est la même chose, il prône une guerre, et il se prétend philosophe, c’est un petit peu la situation actuelle.
 
Mais je n’ai pas vu son film, et je n’ai pas envie de le voir. Mais à nouveau, c’est quelque chose d’extraordinaire ! On verra, je ne veux pas faire de pronostic, je pense que le film va faire un bide… Mais ce qui est étonnant, c’est qu’il soit si peu attaqué. Sur Internet, ceux qui l’ont vu et qui émettent une critique disent que c’est un film mégalo, à sa gloire, ce qui semble être le cas. Encore une fois, je ne peux pas me prononcer, car je n’ai pas vu le film. Mais si c’est le cas, comment se fait-il que si peu de gens osent le critiquer publiquement ?
 
C’est cela, le problème du système français. Vous avez quelques personnalités (dont BHL) qui ont des moyens financiers énormes. Et je remarque que même dans les milieux qu’ont pourrait appeler « de gauche », tout le monde se moque de lui. Mais en réalité, tout le monde partage ses idées. Quand il y a eu la guerre en Libye, presque l’entièreté de la classe politique évidemment, mais aussi des milieux radicaux étaient d’accord avec l’intervention. En fait, ils demandaient  l’intervention. Et maintenant, avec la Syrie, on a le même scénario.
 
Et même dans ces milieux-là, j’ai déjà essayé, depuis des années, depuis le Kosovo, c’est très difficile (sinon impossible) d’avoir un débat. Parce qu’il y a toute sorte d’arcs réflexes : « Ah, c’est un nouvel Hitler, on a rien fait pour l’Holocauste, il faut faire quelque chose cette fois-ci… ». Plusieurs générations, depuis des dizaines d’années, ont été endoctrinées avec des arcs réflexes dans ce genre. Et alors, c’est comme si on débarquait au XIIème siècle, et qu’on disait : « Vous savez, Jésus-Christ n’est pas le fils de Dieu », il n’y a personne qui vous comprendrait. Et ici, c’est la même chose. Si vous dites : « Mais réfléchissons un peu à cette politique d’ingérence, où est-ce que ça mène, qu’est-ce que c’est que la militarisation, qu’est-ce que c’est que ces conflits perpétuels, qui est derrière, à quoi ça sert, est-ce que vous croyez réellement que ça sert les Droits de l’Homme ? », c’est impossible d’avoir une discussion là-dessus, parce que tous les réflexes sont là.
 
C’est ce que j’appelle un peu méchamment « la religion de l’Holocauste ». Je ne veux pas dire par là que l’Holocauste n’a pas eu lieu, ni que ce n’est pas un événement tragique. Mais la façon dont c’est exploité politiquement, ça, c’est ce à quoi j’objecte, parce que toute nouvelle situation est assimilée à un nouvel Hitler, à un nouvel Holocauste, etc. et donc nécessité d’intervention, sinon, vous êtes un « munichois », un « pétainiste », vous êtes « antisémite »… Et tant qu’on reste dans cette matrice idéologique, aucun débat sérieux sur la réalité du monde contemporain ne peut avoir lieu ni à gauche, ni à l’extrême-gauche, ni nulle part.

Dispute sur le Sel et le Fer (23)

COMMENT GUÉRIR LE MAL



Que les ministres se dépouillent.
LES SAGES. - À ce qui est trop orné on redonne la simplicité comme on redresse une pièce de bois courbe. Yan-tseu, Premier ministre du royaume de Ts'i, porta pendant trente ans la même pelisse de renard. Voilà comment on donne l'exemple de l'économie à un peuple prodigue. Quand il est devenu économe, on l'instruit par les rites. Que les ministres, grands officiers et leurs descendants réduisent leur train de maison et modèrent leurs dépenses ; qu'ils montrent la voie de la simplicité en abandonnant leurs parcs et leurs villas, en diminuant la taille de leurs domaines. Qu'ils ne s'occupent plus des marchés ni des boutiques, qu'ils ne mettent plus la main sur les richesses naturelles, et les paysans trouveront à s'employer, les tisserandes à vendre leurs toiles, et le pouls qui battait encore de manière désordonnée dans les veines de l'Empire se trouvera calmé et uni, et les richesses mieux réparties.

Donneurs de conseils.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - L'orphelin discourt sur la piété filiale, le cul-de-jatte opine sur les mérites comparés des cannes, le miséreux disserte sur la bienveillance, et la roture pérore sur les affaires de l'État. Il est facile d'avoir raison quand on est simple spectateur, mais nos donneurs de conseils commettent les pires erreurs quand ils accèdent à des responsabilités. Vous êtes semblables à ces rebouteux et médicastres qui, dans les périodes d'épidémies, se contentent d'agiter leur langue. Où sont vos remèdes miracles pour soigner les maux dont souffre l'Empire ?

La tour menace ruine.
LES SAGES. - Quand une tour de neuf étages menace ruine, fût-on aussi habile artisan que Gongshu Ban, on ne peut rien pour la redresser. Ceux qui s'adonnent sans vergogne à la recherche du profit pullulent à la cour et dans la capitale. Les grands possédants de terres et de troupeaux encombrent les provinces. Chacun n'en fait plus qu'à sa guise. Les routes ne peuvent plus passer à travers la campagne tant elle est envahie par les domaines et les palais des riches. C'est pourquoi le traitement est difficile et les remèdes jusqu'à présent inefficaces.

Le Grand Secrétaire roule des yeux terribles, mais se tait.