« Lorsqu'un homme sans envergure occupe une place importante dans l'État, plus élevée sera sa fonction, plus dure sera sa chute. Aucun dirigeant, s'il n'a pas lutté pour la vérité et la vertu, n'est mort de mort naturelle. Il ne montera jusqu'au ciel que pour s'écraser sur le sol. »
Les trois réponses de Confucius.
LE SECRÉTAIRE DU PREMIER MINISTRE (s'avançant). - S'il fallait suivre aveuglément l'Antiquité sans rien changer et perpétuer toutes les institutions de nos pères sans y apporter aucune modification, la culture n'aurait jamais pu polir l'antique rusticité et l'on en serait toujours aux chars à bancs. Les uns ont innové tandis que les autres ont transmis leur héritage. Les lois et les règlements ont pu répondre aux exigences de la société et les machines satisfaire ses besoins. Confucius fit des réponses différentes à trois seigneurs qui le questionnaient sur l'art de gouverner et Yanzi servit sous trois monarques en appliquant des programmes différents. Non qu'ils aient agi en opportunistes, mais parce qu'il leur fallait tenir compte des nécessités du moment. Nos ministres ont déjà défini les grandes lignes de notre action et fixé les bases de la prospérité. Aussi serait-il souhaitable que vous ne vous embarrassiez plus d'arguments futiles et ne nous rebattiez plus les oreilles de thèses confucéennes ou moïstes.
L'ancienne harmonie.
LES LETTRÉS. - Lorsque Shi Guang, le maître de musique, tirait des harmonies de ses instruments, il ne faisait jamais de fausse note. Les saints monarques ne se sont jamais départis de la charité et de la justice dans leur gouvernement. S'ils changèrent le nom des institutions, ils n'en modifièrent jamais l'esprit. Depuis l'Empereur Jaune (1) jusqu'aux Trois Souverains, il n'en est pas un qui ne rayonnât par de sages enseignements, qui ne prît soin des écoles et des académies, qui ne prônât la charité et le sens du devoir et n'établît sur des bases solides les lumières de la civilisation. Tels sont les principes immuables jusqu'à la fin des siècles. Les Yin et les Tcheou s'y étaient conformés et ils furent florissants ; le roi de Ts'in périt d'avoir voulu les bouleverser. Le Livre des odes, lorsqu'il dit dans l'un de ses hymnes : « Bien que les hommes d'âge et d'expérience ne soient plus, il nous reste encore leurs lois », ne fait qu'exprimer l'idée que si les lois et les coutumes tombent en désuétude, il faut les restaurer ; une fois restaurées sur des bases plus fermes, il faut les mettre en pratique. À quoi bon les changer encore ?
La charrette et le bateau.
LE SECRÉTAIRE DU PREMIER MINISTRE. - Qui veut récolter du riz doit se conformer aux saisons, qui souhaite un État efficace se plie aux circonstances. Le prince de Shang avait vu, avec son regard d'aigle, que pour réussir il ne fallait pas employer les recettes du vulgaire, toujours grossières et de courte vue. Le médiocre se satisfait des anciens usages et le sot se fie à des on-dit. Il a fallu trois ans pour que les hommes s'habituent aux bateaux et aux charrettes après leur invention. Ce n'est qu'une fois les lois solidement établies que les sujets de Ts'in firent confiance au prince de Shang. Confucius n'a-t-il pas dit : « On peut étudier la sagesse à plusieurs, mais on ne peut pas partager le pouvoir » ? Vous pouvez nous aider à bâtir dans les cadres déjà tracés, mais nous ne vous permettrons pas de sortir de notre système politique et de notre cadre théorique.
Dure sera la chute.
LES LETTRÉS. - Le sage écoute beaucoup et s'en tient aux choses certaines. Il transmet et n'innove pas. Il est perspicace et n'agit qu'à bon escient ; son intelligence est pénétrante, mais il entreprend peu de choses. C'est ainsi qu'il réussit dans toutes ses entreprises et connaît une gloire inaltérable. L'homme de peu est superficiel mais toujours plein de grands projets ; il porte des fardeaux trop lourds pour sa faible constitution. Alors il s'arrête à mi-parcours : tels furent Su Ts'in (2) et le prince de Shang. Jetant aux orties les principes politiques des premiers monarques et niant la validité de leurs systèmes, ils ne voulurent compter que sur leur propre intelligence, leur vanité les perdit. Le Livre des mutations affirme : « Lorsqu'un homme sans envergure occupe une place importante dans l'État, plus élevée sera sa fonction, plus dure sera sa chute. Aucun dirigeant, s'il n'a pas lutté pour la vérité et la vertu, n'est mort de mort naturelle. Il ne montera jusqu'au ciel que pour s'écraser sur le sol. » Quand Yu le Grand procéda aux grands travaux hydrauliques, tout son peuple en comprenant l'intérêt, en souhaitait la prompte réalisation. Mais lorsque le prince de Shang établit ses lois, tous comprirent les désagréments qui allaient en résulter et craignaient d'être les victimes des châtiments qu'il avait institués. C'est pourquoi Yu le Grand, prince de Xia, régna sur la Chine après avoir mené à bien sa tâche. Tandis que le prince de Shang périt sitôt après avoir promulgué sa nouvelle législation. Certes, on peut, comme le prince de Shang, rester dans un splendide isolement, assuré de la justesse de ses vues, en dépit du démenti apporté par son siècle. Quant à nous, il est possible que nos faibles capacités ne nous permettent pas de partager avec vous la direction des affaires, mais au moins avons-nous la compensation de ne pas prendre des responsabilités qui nous dépassent.
1. Souverain mythique de la haute antiquité.
2. Politicien du IVème siècle avant Jésus-Christ ; il mourut assassiné.
LE CHANGEMENT ET L'IMMUABLE
Les trois réponses de Confucius.
LE SECRÉTAIRE DU PREMIER MINISTRE (s'avançant). - S'il fallait suivre aveuglément l'Antiquité sans rien changer et perpétuer toutes les institutions de nos pères sans y apporter aucune modification, la culture n'aurait jamais pu polir l'antique rusticité et l'on en serait toujours aux chars à bancs. Les uns ont innové tandis que les autres ont transmis leur héritage. Les lois et les règlements ont pu répondre aux exigences de la société et les machines satisfaire ses besoins. Confucius fit des réponses différentes à trois seigneurs qui le questionnaient sur l'art de gouverner et Yanzi servit sous trois monarques en appliquant des programmes différents. Non qu'ils aient agi en opportunistes, mais parce qu'il leur fallait tenir compte des nécessités du moment. Nos ministres ont déjà défini les grandes lignes de notre action et fixé les bases de la prospérité. Aussi serait-il souhaitable que vous ne vous embarrassiez plus d'arguments futiles et ne nous rebattiez plus les oreilles de thèses confucéennes ou moïstes.
L'ancienne harmonie.
LES LETTRÉS. - Lorsque Shi Guang, le maître de musique, tirait des harmonies de ses instruments, il ne faisait jamais de fausse note. Les saints monarques ne se sont jamais départis de la charité et de la justice dans leur gouvernement. S'ils changèrent le nom des institutions, ils n'en modifièrent jamais l'esprit. Depuis l'Empereur Jaune (1) jusqu'aux Trois Souverains, il n'en est pas un qui ne rayonnât par de sages enseignements, qui ne prît soin des écoles et des académies, qui ne prônât la charité et le sens du devoir et n'établît sur des bases solides les lumières de la civilisation. Tels sont les principes immuables jusqu'à la fin des siècles. Les Yin et les Tcheou s'y étaient conformés et ils furent florissants ; le roi de Ts'in périt d'avoir voulu les bouleverser. Le Livre des odes, lorsqu'il dit dans l'un de ses hymnes : « Bien que les hommes d'âge et d'expérience ne soient plus, il nous reste encore leurs lois », ne fait qu'exprimer l'idée que si les lois et les coutumes tombent en désuétude, il faut les restaurer ; une fois restaurées sur des bases plus fermes, il faut les mettre en pratique. À quoi bon les changer encore ?
La charrette et le bateau.
LE SECRÉTAIRE DU PREMIER MINISTRE. - Qui veut récolter du riz doit se conformer aux saisons, qui souhaite un État efficace se plie aux circonstances. Le prince de Shang avait vu, avec son regard d'aigle, que pour réussir il ne fallait pas employer les recettes du vulgaire, toujours grossières et de courte vue. Le médiocre se satisfait des anciens usages et le sot se fie à des on-dit. Il a fallu trois ans pour que les hommes s'habituent aux bateaux et aux charrettes après leur invention. Ce n'est qu'une fois les lois solidement établies que les sujets de Ts'in firent confiance au prince de Shang. Confucius n'a-t-il pas dit : « On peut étudier la sagesse à plusieurs, mais on ne peut pas partager le pouvoir » ? Vous pouvez nous aider à bâtir dans les cadres déjà tracés, mais nous ne vous permettrons pas de sortir de notre système politique et de notre cadre théorique.
Dure sera la chute.
LES LETTRÉS. - Le sage écoute beaucoup et s'en tient aux choses certaines. Il transmet et n'innove pas. Il est perspicace et n'agit qu'à bon escient ; son intelligence est pénétrante, mais il entreprend peu de choses. C'est ainsi qu'il réussit dans toutes ses entreprises et connaît une gloire inaltérable. L'homme de peu est superficiel mais toujours plein de grands projets ; il porte des fardeaux trop lourds pour sa faible constitution. Alors il s'arrête à mi-parcours : tels furent Su Ts'in (2) et le prince de Shang. Jetant aux orties les principes politiques des premiers monarques et niant la validité de leurs systèmes, ils ne voulurent compter que sur leur propre intelligence, leur vanité les perdit. Le Livre des mutations affirme : « Lorsqu'un homme sans envergure occupe une place importante dans l'État, plus élevée sera sa fonction, plus dure sera sa chute. Aucun dirigeant, s'il n'a pas lutté pour la vérité et la vertu, n'est mort de mort naturelle. Il ne montera jusqu'au ciel que pour s'écraser sur le sol. » Quand Yu le Grand procéda aux grands travaux hydrauliques, tout son peuple en comprenant l'intérêt, en souhaitait la prompte réalisation. Mais lorsque le prince de Shang établit ses lois, tous comprirent les désagréments qui allaient en résulter et craignaient d'être les victimes des châtiments qu'il avait institués. C'est pourquoi Yu le Grand, prince de Xia, régna sur la Chine après avoir mené à bien sa tâche. Tandis que le prince de Shang périt sitôt après avoir promulgué sa nouvelle législation. Certes, on peut, comme le prince de Shang, rester dans un splendide isolement, assuré de la justesse de ses vues, en dépit du démenti apporté par son siècle. Quant à nous, il est possible que nos faibles capacités ne nous permettent pas de partager avec vous la direction des affaires, mais au moins avons-nous la compensation de ne pas prendre des responsabilités qui nous dépassent.
1. Souverain mythique de la haute antiquité.
2. Politicien du IVème siècle avant Jésus-Christ ; il mourut assassiné.
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