François Hollande est une buse... Avec un rat crevé dans la gueule ! L'image est plaisante, et m'a été suggérée par le 15ème chapitre du Yantie Lun, ce débat hors du commun qui eut lieu il y a plus de 2 000 ans à la cour de l'Empereur de Chine.
On y vitupère la cupidité des dirigeants de l'époque dans des termes qui pourraient être repris aujourd'hui :
« Nos dirigeants actuels ne voient que le profit immédiat, sans se prémunir contre des revers possibles ; la hâte de réussir les pousse à commettre toutes les bassesses, ils se damnent pour de l'argent. Jouissant des prérogatives du rang et de la fortune bien qu'ils ne soient pas vertueux, ils marchent sur une chausse-trape qui peut se dérober sous eux à chaque instant et festoient sur la passerelle d'un pont-levis qui risque de s'abattre sur eux d'un moment à l'autre. »
Dans ce court extrait, les menaces sont à peine voilées. Mais la fin du chapitre ne laisse planer aucun doute : c'est vraiment chaud pour le pouvoir en place...
SUR LE MONT TAI, RENCONTRE DE L'ARGUS ET DE LA BUSE
Grenouilles tapageuses.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Il n'est pas digne d'un lettré de mal agir tout en prêchant la vertu ni de se prétendre sans ambition quand sa conduite prouve le contraire. Vous faites penser à ces grenouilles qui mènent grand tapage en période d'inondations mais sont condamnées à périr tôt ou tard dans quelque caniveau. Incapables d'assurer une vie décente à votre famille, parfaitement obscurs en dehors de votre village, misérables ilotes qui vous gargarisez de grands mots, vous aurez beau vous enrouer à force de parler de charité et de justice, vous n'en serez pas moins méprisables.
Ô ministres intègres...
LES LETTRÉS. - Comme l'a dit Confucius : « Celui qui ne songe pas à l'avenir se prépare bien des souffrances ». Nos dirigeants actuels ne voient que le profit immédiat, sans se prémunir contre des revers possibles ; la hâte de réussir les pousse à commettre toutes les bassesses, ils se damnent pour de l'argent. Jouissant des prérogatives du rang et de la fortune bien qu'ils ne soient pas vertueux, ils marchent sur une chausse-trape qui peut se dérober sous eux à chaque instant et festoient sur la passerelle d'un pont-levis qui risque de s'abattre sur eux d'un moment à l'autre.
Il y avait dans les contrées méridionales un oiseau appelé argus ; il ne se nourrissait que de pousses de bambou et ne buvait que l'eau des sources les plus pures. Tandis qu'il survolait le mont Tai, il rencontra une buse qui venait d'attraper un rat crevé. La buse leva les yeux sur lui et, de peur que l'oiseau ne lui dispute sa charogne, poussa un cri pour l'effrayer. Vous, messieurs les ministres, qui du haut de votre opulence et de votre rang vous plaisez à railler les lettrés, vous nous rappelez la buse du mont Tai poussant son cri pour intimider l'argus.
Soyez polis.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Je croyais que l'instruction servait à bannir la vulgarité du langage, et les rites à polir la rudesse des manières. Ainsi l'éducation soutient la vertu et la courtoisie assouplit le caractère. Vous devriez réfléchir avant de parler et d'agir afin qu'aucune parole malsonnante ne sorte de vos lèvres et vous garder d'actes répréhensibles. Aucun de vos gestes, aucune de vos attitudes ne devrait jamais s'écarter du bon ton. Comportez-vous avec correction et modestie et vous pourrez parler tout le long du jour sans être grossiers et donner tout au long de votre vie le bon exemple. Notre souverain, afin de mieux gouverner, a distribué des charges et établi des lits de justice ; il a institué une hiérarchie des rangs et des salaires pour récompenser le mérite, et vous osez en sa présence parler de « chausse-trape » et de « rat crevé ». Fi ! Quelle trivialité !
Le salaire du juste.
LES LETTRÉS. - Notre très avisé souverain a établi des charges et distribué des émoluments pour honorer les hommes de valeur. C'est à eux et à eux seuls qu'ils doivent revenir. Il n'y a pas de salaire trop élevé ni de trop haute dignité pour le juste. Mais à celui qui est impropre à s'acquitter d'une tâche si humble soit-elle, le don d'une mesure de riz ou d'un bol de soupe est un préjudice causé à la nation. La buse n'attrapa qu'un rat crevé dans quelque vallée obscure, elle n'a jamais fait de tort à personne. Tandis que vous autres, fonctionnaires, vous dilapidez les biens de votre monarque et vous engraissez sur le pays, bravant les foudres de la loi. Malheur à vous, la mécanique pourrait un jour se mettre en mouvement contre vous, car en menaces vous en remontreriez à la buse du mont Tai !
Personne ne méprise le profit.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Sseu-ma Ts'ien (1) a dit : « Tout l'Empire est à genoux devant le profit ». Les jeunes filles de Zhao indifférentes à la beauté des hommes, les vierges de Zheng sans préjugés quant à la nationalité de leurs conjoints, les marchands insensibles à la honte, les soldats, les fonctionnaires, tous sont mus par l'appât du gain et le désir de gloire. Les confucéens et les moïstes (2), eux, cachent leur convoitise sous des airs graves, ils sillonnent l'Empire, cherchant à propager leur doctrine, mais leur échec les ronge. Car tout comme le commun des mortels, les lettrés aspirent à la gloire ; et les richesses et les honneurs sont leurs mobiles secrets.
Quand Li Sseu (3) étudiait dans l'académie de Hsün Ts'ing, il coudoyait dans ses pérégrinations des gens de peu. Mais lorsque, devenu ministre du Premier Auguste Souverain, il déploya ses ailes de géant pour prendre son essor, il atteignit les Neuf Cieux et plana dans l'éther à une hauteur de dix mille coudées, laissant loin derrière lui le cygne sauvage et le coursier ailé. Comment des canards boiteux ou des moineaux auraient-ils pu songer à le suivre ? Dirigeant tout l'Empire, commandant à ses multitudes, il avait une suite de cent chariots et jouissait d'un revenu de dix mille mesures de grain. En ce temps-là, les confucéens de stricte obédience n'avaient même pas un habit décent ni de la balle de riz à se mettre sous la dent, non qu'ils eussent un goût particulier pour les haricots et les légumes secs ou qu'ils méprisassent les belles demeures, mais parce qu'ils étaient incapables de se les procurer. Comment auraient-ils pu effrayer ne serait-ce qu'une mouche ?
Le bœuf gras et le couteau.
LES LETTRÉS. - L'honnête homme possède la vertu, l'homme de peu possède des domaines ; le sage est prêt à se sacrifier pour garder intacte sa réputation, l'ambitieux perd sa vie pour de l'argent. Le bœuf promis au sacrifice en l'honneur de la Divinité suprême est bichonné et engraissé une année entière avant d'être livré en grande pompe au couteau du sacrificateur. Voudrait-il, dans ce moment fatal, changer sa place avec la bête de somme qui gravit péniblement une pente escarpée en ployant sous un lourd fardeau qu'il ne le pourrait plus.
Un État de dix mille chars de guerre aurait semblé trop petit pour l'ambition de Li Sseu, Premier ministre du royaume de Ts'in et disposant d'un pouvoir discrétionnaire sur tout l'Empire. Mais plus tard, sur la paille du cachot, puis écartelé sur la place du marché de Yunyang, eût-il souhaité être quelque modeste paysan rentrant par la porte Dongmen, son fagot sur l'épaule, ou cheminant à travers les ruelles tortueuses de son village natal, qu'il n'aurait pu réaliser ce vœu. Pour les hommes victimes de leurs appétits et de leur vanité, les centaines de chariots de leur escorte n'auraient pas suffi à porter le poids de leurs malheurs.
1. Premier grand historien chinois, auteur des Mémoires historiques, mort vers 85 avant Jésus-Christ.
2. Disciples de Mozi, philosophe de l'amour universel (Vème siècle avant Jésus-Christ).
3. Fameux ministre légiste du Premier Auguste Empereur, qui incita ce dernier à brûler les livres et à faire enterrer vivants les lettrés.