8 févr. 2013

Dispute sur le Sel et le Fer (28)



LE RESPECT DES RITES


Impressionner les barbares.
LE GRAND SECRÉTAIRE. - Si l'on a dans sa maison des meubles sculptés et de la belle vaisselle, ce n'est pas tant pour soi-même que par respect pour ses hôtes. Ainsi les objets chatoyants et curieux servent-ils à impressionner les barbares ; ils ne sont pas à usage interne. Vous ne trouverez rien de choquant à ce que des particuliers commandent des musiciens et des chan­teuses pour charmer les oreilles de leurs invités par les accents d'une musique raffinée. Alors, pourquoi êtes-vous scandalisés quand c'est l'État qui le fait ? Le déploiement des bannières et des oriflammes, la revue des chevaux cuirassés sont destinés à montrer aux étrangers notre puissance militaire. Les animaux fabuleux et les objets exotiques leur prouvent que la vertu de l'empereur s'étend, triomphante, jusqu'aux bornes de l'univers et qu'il n'est pas de peuple, si reculé soit-il, qu'elle laisse à l'écart.

Rayonner par la vertu.
LES SAGES. - Un monarque avisé respecte les rites et pratique la vertu. Il tient la charité et l'équité pour les plus hautes des vertus et méprise la brutalité et les superstitions dont les sages se sont faits de tout temps les ennemis jurés. Confucius a dit : « Un homme doit être sincère dans ses paroles, prudent et circonspect dans ses actions, même au milieu des barbares du Midi et du Septentrion. » Or, lorsque les princes des pays lointains viennent à la Cour présenter leurs cadeaux et offrir leur tribut, touchés par le rayonne­ment de la vertu du Fils du Ciel, ils sont désireux de connaître les rites et les cérémonies de l'empire du Milieu. C'est à cet effet qu'ont été édifiés le Palais Sacré et l'École du Fils du Ciel. Les souverains de jadis y donnaient des danses guerrières et faisaient jouer hymnes dynastiques et chants des grandes cérémonies afin d'apprendre aux barbares ce qu'était la civilisation. Mais, de nos jours, on ne cherche plus qu'à les impressionner par des bibelots sans utilité, des bêtes étranges, des jeux de foire et tout un étalage de clinquant. Est-ce là la façon dont le duc de Tcheou traitait ses hôtes ?

Jadis, le duc de Tcheou se montrait modeste pour rabattre les préten­tions de la noblesse, il pratiquait les rites pour pacifier l'Empire. Il refusa les cadeaux des barbares du Sud afin de leur montrer ce que signifiait décli­ner une offre. Puis il entra avec eux dans le temple ancestral où reposait la tablette du roi Wen pour leur faire comprendre ce qu'on entendait par piété filiale. Les yeux impressionnés par le spectacle imposant des danses de guerre, les oreilles frappées par les nobles accents des chants dynas­tiques, le cœur empli de la vertu parfaite, ils s'en retournèrent chez eux, subjugués. Les barbares, convertis à l'équité, firent leur soumission. Ce n'est pas en montrant à leurs interprètes occidentaux des bêtes féroces ou des ours qu'on se les ralliera. D'autant que les rhinocéros, les éléphants et les tigres sont très nombreux chez les peuples méridionaux, et les mulets, les ânes et les chameaux sont des animaux de bât tout à fait communs chez ceux du Nord. Toutes ces bêtes, que la Chine considère comme des rare­tés, sont regardées avec mépris par les étrangers. Les Cantonais accrochent les paons en chapelets à leurs fenêtres et à leurs portes ; dans le Kunshan, le jade sert de projectile contre les corbeaux et les pies. Ce que vous admi­rez, ils le méprisent; ce que vous considérez comme des trésors ne sont pour eux que des objets des plus banals. Nous ne croyons pas que c'est ainsi que vous gagnerez leur considération, ni que vous propagerez parmi eux la vertu de notre souverain.

Les plus célèbres des joyaux n'ont jamais préservé un pays de la ruine ni sauvé un État de la destruction. On fait la preuve de sa vertu et on mani­feste sa puissance par ses sages et ses ministres loyaux, non par un étalage de chiens, de chevaux et de produits exotiques. Les princes éclairés consi­dèrent les sages comme des trésors plus précieux que les perles ou les pierres dures. Le pays qui gagne un sage se renforce, celui qui en perd s'affaiblit. Comme le disent les Annales des printemps et des automnes : « Les hommes ne vont pas cueillir la mauve et la renouée dans des monta­gnes habitées par les tigres et les léopards ; un pays gouverné par un sage ministre n'est jamais attaqué. »

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